Interview de Francis Huster à Séniors Mag

  • Par Pascale PEIFFER
  • Mise en ligne : 09 janvier 2018
  • Mise à jour : 09 janvier 2018

Francis Huster s’est confié le temps d’une rencontre à Bordeaux : vision de son métier de comédien, confidences sur ses filles, l’acteur se livre sans concession, mêlant vie privée et vie publique, un peu comme dans son spectacle « Le Théâtre, Ma Vie ».

S.M. : Francis Huster vous occupez différentes scènes actuellement avec 3 spectacles que vous menez de front. Pourquoi ce besoin de travailler simultanément plusieurs textes, alors que la plupart des acteurs français, se jettent corps et âme dans un seul spectacle à la fois.

F.H. : En ce qui me concerne, c’est exactement comme si j’étais un pianiste qui jouerait seul, puis ferait partie d’un orchestre, avant d’aller enregistrer en studio. Je suis constamment sur plusieurs projets parce que j’ai été éduqué à la Comédie Française à jouer en même temps plusieurs pièces. Je pense que l’on est plus lucide sur ce que l’on fait quand il n’y a pas d’exclusivité. Ainsi quelqu’un qui aurait 3 femmes se conduirait mieux avec les 3 plutôt que s’il n’était qu’avec une ! C’est intéressant de passer d’un spectacle à l’autre, tu redécouvres ce que tu fais et tu progresses. Sinon tu t’avachis, tu es persuadé qu’il n’y a plus rien à trouver dans le rôle.

S.M. : Il faut avoir une mémoire phénoménale pour apprendre tous ces textes …

Il y a 2 sortes de mémoire. Comment font les pianistes qui jouent à la suite Schubert, Schumann, Chopin, Liszt lors d’un récital ? Tu ne peux pas jouer une note sans y mettre du sentiment. Si quelqu’un se fait écraser devant toi, tu garderas toute ta vie ,l’image de cet accident et tu entendras longtemps les cris, les bruits, parce que cela t’a marqué profondément. La mémoire est une mémoire de sensibilité, sentimentale et invincible.

Il y a cependant 2 sortes d‘acteurs. Ceux qui sont capables en 2 heures d’exprimer 450 sentiments, c’est ce qui est répertorié pour Hamlet.  Et il y a des pièces comme Phèdre où l’actrice n’a que 11 sentiments. Elle balance 20 ou 30 vers à la suite en gardant le même sentiment. Dans Hamlet il y en a 450 parce que la tendresse ce n’est pas pareil que la compréhension, tout comme la cruauté et la méchanceté. Il y a des artistes qui sont des éponges de sentiments et qui jouent comme un pianiste et puis il y a une deuxième catégorie d’acteurs. Il faut savoir que tout le monde, un jour ou l’autre, veut devenir acteur depuis le 20ème siècle. Quand j’ai commencé il y avait 300 acteurs maintenant il y en a 30 000. Dans les cours d’arts dramatiques on était 5 ou 10 maintenant ils sont 800. Au cours Florent ils sont 840 cette année !  Cette 2ème catégorie est composée d’acteurs qui ne mettent aucun sentiment, ce sont des diseurs. C’est la différence par exemple entre Lucchini et moi. Je défie quelqu’un dans la salle de spectacle quand Fabrice fait son spectacle de dire quel sentiment le traverse. Ce sont des métiers complètement différents. N’importe qui peut apprendre un texte et le réciter. Attention ! l’acteur qui joue avec ses sentiments n’est ni plus haut, ni plus bas que ceux de l’autre catégorie. Là où je suis très en colère c’est quand je réalise qu’Adjani, Dussolier, Delon… sont restés dans un carcan alors que chacun d’entre eux aurait pu et dû jouer Bérénice pour l’une, Hamlet pour les autres !

S.M. : Vous auriez souhaité qu’ils viennent dépoussiérer le théâtre classique ?

F.H. : Oui, parce que s’il y avait Djamel Debouze dans Scapin, Omar Si dans Otello, Dany Boon dans Tartuffe, les jeunes qui ont 12 ou 15 ans écouteraient les textes autrement.

S.M. : Tout ceci reprend un peu ce que vous expliquez sur scène dans votre spectacle « Le Théâtre, Ma Vie »

F.H. : J’ai été le 1er à faire des « One Man Show littéraire » quand un professeur du Conservatoire m’a demandé de monter sur scène et de faire des textes à partir de livres. C’était une innovation en 1981. Il y avait déjà par exemple des sketches de Fernand Raynaud et Robert Lamoureux mais le registre littéraire en lui-même n’existait pas. Il se trouve qu’avec « LE THEATRE MA VIE », je fais encore autre chose et j’espère que dans les années à venir les autres vont copier cela.

S.M. : Vous copier comment ?

F.H. Je monte sur scène et je raconte qui je suis et comment j’ai pu réussir à réaliser mon rêve de faire ce métier. Pourquoi c’était impossible que je le fasse. Je raconte tout jusqu’à la Comédie Française pour que les jeunes notamment, se disent « si ce gars a réussi, malgré les événements  dramatiques et insensés de sa vie,  moi aussi je vais réussir ma vie ». Dans ce spectacle il n’y a pas de rôle, tu es dans Ta Vérité et du coup le spectateur est beaucoup plus attentif parce qu’il se pose à chaque instant la question « Est-ce un rôle ou la vérité qu’il est en train de faire ? »  Si Gabin, Dietrich, Arletty, Barraud ou Jeanne Moreau avaient pu faire, sur scène ce qu’ils m’ont raconté comme ils l’ont fait dans leur salon, ou au restaurant… Ils racontaient par exemple, les lames aux yeux, la guerre, comment ils ont sauvé Tristan Bernard avec Guitry, comment ils avaient peur chaque matin d’être fusillés. Pourquoi tous les acteurs de cette génération qui avaient tant à nous raconter ne l’ont pas fait ? Je pense qu’il faut le faire pour donner une autre image de notre métier.

S.M. : En fait, vous théâtralisez surtout votre vie privée avec ce spectacle ?

F.H. : Je parle de mes amours. Qu’est-ce que c’est que d’aimer à la folie quelqu’un quand on fait ce métier ? Je parle d’Isabelle bien sûr (Adjani NDLR). Je raconte comment quelqu’un peut devenir un autre père pour toi, comment ceux qui jouent avec toi peuvent te haïr et du jour au lendemain t’admirer et t’aimer. Je raconte des moments parfois très cruels qui tirent les larmes aux yeux, puis d’autres qui sont très drôles et j’explique pourquoi c’est un bonheur d’être comédien. Et tu ne peux expliquer cela que par ton parcours. Et en ce qui me concerne il n’y a pas de barrières entre ma vie privée et ma vie publique.

S.M. : Est-ce que vos 2 filles suivent votre parcours ?

Mes filles ne veulent absolument pas faire ce métier. La plus jeune s’intéresse en ce moment au cerveau d’un point de vue scientifique. Elle est au Lycée Condorcet et est très brillante. Elle a 14 ans et est en seconde. Elle a passé un an en Angleterre au Dover College. Elle aime le théâtre et a déjà tourné mais ce n’est pas sa priorité. Quant à la plus grande, elle est à l’ESCA. Elle est trop sensible et trop romantique pour faire ce métier.

S.M. : Vous êtes vous-même un grand romantique !

F.H. :  Oui mais ma fille Elisa, a l’espoir d’un monde plein de bonheur, plein d’amour, parce qu’elle est jeune, alors que moi dès le départ j’ai été « bercé » par les Khmers rouges, l’Algérie en feu, le Bolchévisme, l’Afrique dans un état de détresse de révolte …

S.M. : Actuellement c’est peut-être pire avec Internet qui amplifie les évènements.

F.H. : La différence est que pour les jeunes, un autre monde existe. Pour eux le véritable monde est là dedans (il montre son portable NDLR). Nous, on parlait aux gens de ce qui se passait dans le monde. Eux non, ils pensent, et cela les rassure, que le monde virtuel est le vrai. Cela les protège.

S.M. : Pourquoi avez-vous choisi de jouer dans la pièce de Laurent Ruquier ?

Pour moi Ruquier c’est Audiard. Tous les 20 ans il y a un auteur comme Prévert, Audiard et je pense que si Audiard avait 30 ans aujourd’hui il serait Ruquier. Que ce soit Ruquier ou Schmitt, quand ils écrivent des comédies, elles sont dans la catégorie des pièces de Molière, lumineuses et comiques et dans les comédies il y a toujours un duo. J’aime ce côté du métier de comédien. J’ai déjà fait des duos avec Davy Sardou, Delon, Laspalles, Ingrid Chauvin et demain ça pourrait être avec Clavier.

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